Le 20 janvier 1855 naît à Paris Amédée-Ernest Chausson dans une famille de la grande bourgeoisie. Son enfance solitaire, la mort de ses deux frères aînés (1851 et 1865), en font un être sensible et quelque peu introverti. Un sentiment de "mal-être" s'empare de lui, qui ne le lâchera plus. Il rencontre la musique à l'âge de dix ans grâce à des leçons de pianos dispensées par Cornelius Coster et à travers l'enseignement de son précepteur Léon Brethous-Lafargue. Ce dernier, fin lettré, développe chez le jeune garçon l'amour de la beauté par l'étude des grandes œuvres d'Art. C'est également lui qui l'introduit, l'année de ses vingt ans, dans le salon de Mme de Rayssac. Ces salons (comme en tenaient aussi ses parents) sont des lieux de rencontre mondains où se côtoient des artistes, des journalistes, des homme politiques etc. tout cela dans le but de distraire les soirées de ces dames. Dans celui-ci, Chausson se rôde à l'interprétation de la musique de chambre des Classiques et Romantiques allemands. Il y conçoit également une passion pour Hector Berlioz dont plusieurs habitués sont de chauds partisans. Il entretiendra cette habitude des salons jusqu'à sa mort, et de nombreux artistes se croiseront aussi bien à son domicile parisiens, que dans ses résidences de villégiature (une manière de combattre sa solitude initiale peut-être).
Durant toutes ces années, il poursuit ses études de droit (et obtient sa licence en 1876), mais en se demandant qu'elle pouvait être sa véritable voie. Dans un domaine artistique, certainement, mais lequel ?

 

Ses premières tentatives de compositions en 1877 et 1878 laissent entrevoir son choix. Celui-ci sera définitif lorsqu'en cette fin d'année 1878 il suit des cours particuliers avec Jules Massenet, dont il intègre la classe de composition au Conservatoire un an plus tard. D'abord comme auditeur libre puis (le 24 décembre 1880) comme élève de composition. Il la quitte en juin 1881, vexé sans doute de son échec au concours d'essai pour le prix de Rome, mais aussi parce que Massenet ne constituait pas la meilleure manière d'atteindre son "Idéal".
En effet, durant l'été 1879, Chausson s'est rendu à Munich pour y découvrir les œuvres de Richard Wagner pour lequel il conservera une grande admiration. Là-bas, il rencontre Vincent d'Indy qui lui parle de l'enseignement qu'un groupe de joyeux jeunes gens suit avec le "Pater" César Franck. Dès la rentrée Chausson se joint à cette "bande".

 

Au delà de l'idée d'appartenir à un groupe de camarades (ce dont il rêve depuis son enfance), il est séduit chez Franck par la forme d'enseignement proche de celle qu'il connaît avec Brethous-Lafargue (on y parle de tout) et, du point de vue musical, par la rigueur de la forme, proche des compositeurs allemands qu'il a joués et aimés dans sa jeunesse. La musique de chambre y est mieux traitée que chez Massenet (sorte de machine "à avoir le Prix de Rome" de par sa position au Conservatoire). Les compositions de ce dernier n'ont jamais été hautement considérées par Chausson (contrairement à celles de Franck). Il vilipende ses "scènes hongroises" dans sa jeunesse et, bien des années plus tard, trouvera Werther "d'une incroyable platitude".
L'année 1882 le voit assister à la création de Parsifal à Bayreuth au milieu de nombreux wagnériens français. Il se marie l'année suivante avec Jeanne Escudier, occasion de nouer une nouvelle amitié avec son beau-frère le peintre Henry Lerolle.
Ses leçons avec Franck durent jusqu'en 1883. De cette époque datent plusieurs mélodies, pièces pour piano ou poèmes symphoniques avec chœur, mais surtout son Trio (op 3 - 1881), première œuvre "de raison", sensiblement influencée par Franck, et l'admirable pièce symphonique Viviane (op 5 - 1882). Ses relations avec le Maître continueront jusqu'à la mort de celui-ci (comme l'atteste sa tentative pour lui faire obtenir la Légion d'Honneur en 84) et le groupe des turbulents élèves perdurera au travers de la Société Nationale de Musique.

 

Dès le début 1881, le nom de Chausson apparaît sur les programmes de la S.N.M. avec la création de Nanny et les papillons (op. 2 - 1880). La Société Nationale de Musique a été créée en 1871 par Bussine, Saint-Saëns, Franck, Massenet, Fauré et d'autres, dans le but d'étudier et faire interpréter "les oeuvres inconnues, éditées ou non, des compositeurs français faisant partie de la société". Elle va grandement contribuer au renouveau de la musique en France à la fin du XIX° siècle (bien qu'encore aujourd'hui, on conteste la valeur de cette musique). Ses deux professeurs membres de la S.N.M., il n'est pas étonnant que le jeune Chausson y fasse jouer ses premières œuvres. Entre 1881 et 1886 une dizaine de concerts comprendront ses compositions. La S.N.M. est un lieu de rencontre, d'échange, les musiciens les plus jeunes peuvent s'y entendre pour la première fois, on discute esthétique, on y découvre les travaux de ses camarades ou de ses aînés. Les concerts (environ deux par mois de décembre à mai) se prolongent souvent par des banquets où l'on continue de faire de la musique et où les apprentis compositeurs apprennent plus, parfois, qu'au Conservatoire. Malgré une existence mouvementée, la S.N.M. témoignera d'une belle vitalité avec plus de 600 concerts entre 1871 et 1939. Au nombre de ses vicissitudes, on trouve le bouleversement de 1886 auquel Chausson prend une part active. Lors d'une assemblée générale, d'Indy propose d'admettre des compositions étrangères sous certaines conditions. Vives réactions de plusieurs membres et refus de Saint-Saëns qui démissionne. On élit un nouveau bureau qui, sous la présidence de César Franck, compte Vincent d'Indy et Ernest Chausson comme secrétaires. Ce dernier prendra cette charge très à coeur, et la conservera jusqu'à sa mort malgré ses nombreux séjours hors de Paris. Une très large part de ses œuvres seront créées par cette société.

 

A l'instar de Berlioz se tournant vers ses émois de jeunesse pour nous offrir son chef-d'œuvre Les Troyens, Chausson va puiser l'argument de son premier (et seul) ouvrage lyrique dans les sujets qui l'ont passionné dès son enfance : la littérature du Moyen-âge, et notamment la légende de la table ronde. On a vu que sa première œuvre d'envergure y était déjà consacrée avec Viviane (1882 puis réorchestré en 1887 comme pour l'aider à mieux posséder son sujet). Il décide (comme Berlioz, Wagner... ou son ami d'Indy !) d'écrire lui-même son livret avant de le mettre en musique. Il va y consacrer dix ans de sa vie. Entre un texte récalcitrant, une veine musicale rebelle et une orchestration qui ne l'est pas moins, commencé en 1885, Le Roi Arthus ne sera terminé qu'en 1895. Car Chausson, perfectionniste, cisèle son œuvre, tout en portant grande attention aux conseils et aux remarques de ses amis (Duparc, Lerolle ou d'Indy en particulier).
Longtemps considéré comme un ouvrage wagnérien, il est nécessaire aujourd'hui de faire la part des choses : si les influences du maître de Bayreuth s'y font sentir, elles n'y sont pas prépondérantes et pas plus nombreuses que les influences de Berlioz (comme le démontre parfaitement Jean Gallois dans sa biographie Ernest Chausson, Fayard - Paris 1994). Considéré objectivement, l'ouvrage révèle que ses pages les plus belles (début du duo d'amour du premier acte, apparition de Merlin au second, mort de Genièvre et final du troisième) sont d'inspiration bien "françaises" et montrent les premières touches d'une patte personnelle. Quant à la ressemblance du livret avec celui de Tristan, elle est balayée d'un trait de plume par M. Gallois, aussi nous vous invitons à vous reporter à son ouvrage (op. cit.).
De ces années-là datent également quelques unes de ses oeuvres les plus célèbres : le Poème de l'Amour et de la Mer (op. 19 - 1890), le Concert (op. 21 - 1891) ou la Symphonie (op. 20 - 1890). Mais aussi d'admirables pages, totalement ignorées de nos jours, comme les musiques de scène pour La Tempête (d'après Shakespeare, op. 18 - 1888) et La Légende de Sainte Cécile (op. 22 - 1891).
Une fois Le Roi Arthus achevé, il fallait le faire jouer. Affaire dans laquelle il échoua : il n'entendit jamais son ouvrage, et seul le dévouement de Vincent d'Indy pourra l'imposer au Théâtre de la Monnaie à Bruxelles. Pour cela, il ira jusqu'à reculer la création de son propre ouvrage (L'étranger) afin de forcer la décision des directeurs. La création, promise depuis 1899, n'aura finalement lieu que le 30 novembre 1903... avec triomphe.

 

Malgré ses difficultés à faire monter ou même éditer le Roi Arthus, tout va pour le mieux dans la vie artistique de Chausson. Depuis 1892 il donne des leçons d'harmonie et de contrepoint au jeune pianiste Auguste Pierret, puis à Gustave Samazeuilh. Accélérant son rythme de travail (sur la lancée d'Arthus), 1896 le voit terminer un cycle de mélodie les Serres chaudes (op. 24 - 1896), Quelques danses pour piano (op. 26 - 1896), les délicieux Trois lieders sur des poèmes de Camille Mauclair (Les Heures, Ballade, Les Couronnes op. 27 - 1896), les Chanson de Shakespeare (op. 28 - 1896) et le fameux Poème pour violon et orchestre (op. 25 - 1896), créé à Nancy par son ami Guy Ropartz qui y est alors directeur du conservatoire.
En pleine maturité, sa veine créatrice coule à flot : en 1897-98 il nous offre (entre-autre) un Quatuor avec piano (op. 30 - 1897), Vêpre pour le Commun des Vierges, sa seule composition pour orgue seul (op. 31 1897, créée par Charles Tournemire lors d'un concert de la S.N.M.), le poème symphonique Soir de Fête, et plusieurs mélodies dont la gracieuse Marins dévots à la Vierge Marie (inédit - 1898) ou l'immortelle Chanson perpétuelle (op. 37 - 1898).
Hélas ! le 10 juin 1899 au soir, parti pour une promenade à bicyclette, il ne dépasse pas le porche de sa maison de vacances à Limay (en Yvelines). Victime d'une chute, il heurte le mur de clôture et s'y fracasse le crâne. Il laisse en travaux un Quatuor à cordes (op. 35) dont l'ami de toujours Vincent d'Indy achèvera le troisième mouvement (le quatrième et dernier n'étant pas suffisamment avancé).
L'éloge funèbre sera prononcé le 15 juin par Camille Benoît, devant sa tombe au cimetière du Père-Lachaise, à Paris.